samedi 15 mars 2008

Janvier - février 2008: l'Antarctique

Le 6 janvier, nous quittons Ushuaia (Argentine). Nous devons faire une escale encore, à Puerto Williams, avant de traverser le Drake, mer qui sépare la Terre de feu du continent Antarctique. La petite cité de Puerto Williams est essentiellement une base militaire, sur l'île Navarino. C'est une escale obligée pour les bateaux de plaisance. C'est ici en effet qu'il faut faire les formalités d'entrée sur le territoire chilien avant d'accéder au Drake. Nous avons de la chance, il fait magnifique, plein soleil et ciel bleu et deux baleines s'ébattent dans les eaux peu profondes de l'entrée de la rivière. La marina de Puerto Williams est des plus sommaire. Un vieux bateau en acier a été coulé par l'Armada par 6 m de fond, pour servir de ponton. Il y a là une dizaine de bateaux, pour la plupart des bateaux de charters en route soit vers le rocher du Cap Horn (l'équipage -souvent des novices en matière de navigation- fêtera ensuite son retour dans quelques jours, fier de pouvoir se prétendre "cap hornier"... tout est matière à business...), soit vers l'Antarctique. Le soir, le bar du ponton devient un endroit très animé, très chaud, où se rencontrent et se racontent les navigateurs qui reviennent et ceux en partance. Le lendemain matin, le temps est favorable et nous partons à la rencontre du Drake, dont on a tellement entendu parler (plutôt en mal en général). A cette latitude, l'océan et les vents font le tour du globe sans rencontrer aucun obstacle terrestre. Il peuvent donc circuler avec toute la force, la rage et la furie qui se déchaînent souvent à ces basses latitudes. Vous avez entendu parler des 50èmes hurlants? C'est ici! Mais nous aurons de la chance encore une fois, nos cinq jours de traversée seront d'une tranquilité étonnante. Faute de vent, nous serons même obligés de faire la moitié au moteur. Pas la peine de traîner dans ces régions, et s'il n'y a pas de vent, on a beau être un voilier, faut se bouger de là au plus vite! Le temps peut changer très vite et il faut être en permanence extrêmement prudents. Nous n'avons pas eu très froid non plus durant ce voyage aller, le temps étant au sec. En navigation, pas question de brancher le chauffage. Nous nous relayons pour les quarts, nous mangeons correctement et le moral des troupes est au beau fixe. Paul se révèle être un équipier particulièrement agréable et compétent. Il est particulièrement bon dans le règlage des voiles. Il a un humour et un enthousiasme à toute épreuve. Il nous plaît à tous. Et avec ça il est très joli garçon!
Samedi 12 janvier, nous arrivons à Melchior Bay. La péninsule est en vue depuis la veille 19H. La journée est superbe, on va plein sud vers un horizon bien dégagé, de plus en plus bleu. Un petit vent nous pousse gentiment, nous avons GV(2) (grand voile avec 2 ris) et genois plein la majeure partie de la journée. Les conditions d’arrivée sont idéales ; plein soleil, il y a juste un léger ruban nuageux au milieu de l’île Brabant que nous longeons sur notre bâbord et sur l’île Anvers que nous voyons à tribord. Nous découvrons peu à peu leurs hauts sommets, les glaciers, les énormes couches de neige et de glace. Tout est blanc. Nous sommes impressionnés.
Nous entrons dans Dalmann Bay et nous cherchons un mouillage au milieu des îles Melchior. Difficile de trouver un endroit avec moins de 25 m de profondeur. De plus, tout ce blanc, ça nous perturbe, ça estompe les reliefs et les distances, tout se confond, îles et icebergs. Nous finissons par ancrer dans Inner Harbour. Un pingouin à bec rouge, pingouin papou, vient nager autour de nous, histoire d’inspecter notre mouillage et de scruter nos bobines. Nous apprendrons bientôt combien ils sont curieux. Il y a des icebergs énormes autour de nous, magnifiques. Pour l’instant ils se tiennent tranquille et ont l’air bien inoffensifs. A leur base, l’eau est turquoise. Nous sommes tous émerveillés. Tout cela est un peu irréel, nous avons du mal à prendre conscience de l’endroit où nous sommes.
Nous prenons rapidement une petite douche chacun tant que l’eau est chaude (le moteur a tourné les dernières heures). Au bout d’une semaine sans se laver -ou seulement d’une patte derrière les oreilles, comme les chats- ça fait du bien ! Puis on fait un peu de rangement et ensuite on sacrifie une bouteille de champagne à cette fantastique arrivée en Antarctique. Nous trinquons sur le pont, en polo (avec manches…). Nous allumons cependant aussi bien vite le poêle, tout a besoin d’être séché à l’intérieur, en particulier les parois de notre cabine avant, qui dégoulinent de condensation. En soirée, c’est spectacle : un pan de glace se détache de l’îlot en face de nous. On surveille le trajet que prend l’iceberg ainsi formé. Il s’écarte du bateau, tout va bien.

Le lendemain, le ciel est plus gris, mais la visibilité reste bonne. On va en dingy admirer pingouins et phoques sur un des îlots. Aucune crainte ni stress de leur part. Notre présence ne semble pas les gêner. Il y a pourtant des petits sur les nids des pingouins. Ils sont tout simplement craquants, on dirait des peluches, duvet gris clair et bec rouge. Un des parents les réchauffe en permanence, et les protège aussi de l’appétit des petits oiseaux blancs charognards qui rôdent autour des nids. Paul et moi tomberons particulièrement amoureux des pingouins. On les observera des heures entières, sur terre, sur l’eau, à leur retour de pêche ou pendant leurs jeux. Le plus drôle est de les voir sauter souplement depuis l’eau sur le bord surélevé d’un iceberg. Ils sont d’une agilité incroyable. Mais certains parfois ratent leur coup et se ramassent, ou à peine atterri se font pousser par d’autres qui les remballent à l’eau, ils remontent, se poursuivent en se dandinant maladroitement…Ou ils jouent à glisser sur le ventre, en toboggan jusqu’à l’eau. A mourir de rire !
On change de mouillage, on va vers l’île de Cuverville. On a décidé de manger un bout de Barnabé ce soir. Je ne vous ai pas encore présenté notre passager clandestin ? Barnabé est le mouton entier qu’on a embarqué à Ushuaia. On lui a ensuite appris à nager durant la traversée, pendant quelques heures, pour le saler un peu, puis on l’a habillé d’une robe de nuit en coton et il a été suspendu discrètement dans le cockpit. Aujourd’hui on lui a coupé son premier gigot. Dans le four, il sent un peu ce bestiau, mais ensuite il fondra sous la langue.
Cadeau de la journée : dans la baie, deux baleines nagent paisiblement. Le soir, allongés sur nos couchettes, on entend à nouveau leurs souffles.

Lundi 14 janvier, on est réveillés vers 7H par l’alarme de mouillage. Le bateau tourne, ce n’est rien de grave. C’est le calme plat dans la baie, avec une chape blanche tombée durant la nuit. 20 cm de belle poudreuse recouvre tout. La visibilité est quasi nulle, ce qui veut dire qu’on est en stand by. On peut traîner en liquette, déjeuner calmement, s’amuser à taquiner Paul, toujours dans son sac de couchage, avec une boule de neige fraîche, écrire, dessiner, prendre du temps pour sa toilette, préparer de bonnes choses à manger (comme d’hab) et aller voir la colonie de pingouins sur l’île d’Anco. Au fait, en français, pour les pingouins de l’hémisphère sud, on parle de manchots, allez savoir pourquoi. En espagnol ou en anglais, on parle respectivement de pinguinos et de pinguins, qu’ils soient du nord ou du sud. Ici, on verra essentiellement les manchots papous, au bec rouge, et les manchots à jugulaire (ou barbus), avec une fine ligne noire sous la mâchoire. On verra aussi quelques manchots adélie, avec l’œil cerclé de blanc, et un manchot royal, égaré parmi une colonie de barbus (Je vous invite à aller regarder les photos supplémentaires sous l'article qui suit, intitulé photos Antarctique). Nous ne verrons pas d’empereur, le plus grand (jusqu’à 1,20 m), qui se rencontre plus au sud encore.



Dans l'après-midi, le soleil est de retour, la neige fond. Avec le changement de courant les gros glaçons qui étaient jusque là bien sagement au fond de la baie, commencent à se promener autour du bateau. De temps en temps l'un d'eux nous frôle, raclant les flancs d'Errance, ou nous percute sans trop de douceur. Nous surveillons leur petit manège puis allons nous coucher. Vers 01H du matin, réveil par le choc des glaçons. Cette fois ce sont de gros mastodontes qui s'approchent. Au moteur, on les évite pendant un moment. Puis, vers 02H30 on décide de changer de crèmerie. Il fait clair déjà, la nuit noire ne dure que trois heures environ, mais l'aube s'étire durant plusiers heures, avec des lumières magnifiques. le soleil allume les sommets les uns après les autres, dans les tons roses et orangé. Il fait très froid mais le paysage vaut la nuit presque blanche. A la sortie du canal Errera, on se retrouve dans le detroit de Gerlach (du nom de notre compatriote, Adrien de son prénom, le premier à avoir hiverné ici en 1898, avec son expédition scientifique, à bord du 3 mâts "Belgica") où il y a de la mer, et du vent. Rafales à plus de 40 Nds. On se dirige vers Molina Point, sur l'île Island, et l'entrée de Paradise Bay. Là, il y a la petite base chilienne Gonzales Videla. On ancre devant, au calme, à 6H du mat', dans l'odeur de la fiente des pingouins qui colonisent les lieux. Le calme sera de courte durée car nous dérapons. Les fonds sont très profonds, il faut encore bouger. Difficile de remonter les 90 mètres de chaîne car le thermique du guindeau déclenche sans cesse. Il ne fait que commencer à nous enquiquiner celui là! Chaque fois qu'il faudra remonter l'ancre, mon poste sera de me coincer sous la table à carte pour repousser toutes les 2 ou 3 secondes sur le bouton du thermique qui chauffe... Heureusement qu'on est 4 à bord.
On s'installe dans le petit bassin derrière la Base, guidés par radio avec les indications des gars de la base. Nous irons ensuite à terre les saluer. Ce n'est pas si souvent qu'ils ont des visites et nous serons cordialement reçus par le Commandant et sa petite équipe. Ils sont 16 militaires. Ils ne passeront ici que les quelques mois d'été, à entretenir les équipements de la base.

Mercredi 17 janvier, encore une journée magnifique. On largue nos 3 lignes à terre et on lève l'ancre. On salue au passage nos copains de l'Armada qui nous font honneur en se mettant en rang devant leur petit héliport. On fait le tour de Paradise Bay qui étincelle sous le soleil. On retraverse ensuite le detroit de Gerlache pour passer la pointe NE de Wiencke Island et de là, emprunter le canal Neumayer. Le canal est assez étroit, avec de hauts sommets (on atteint vite les 2000 mètres ici, c'est le plus haut continent de la planète) et il est peuplé d'icebergs aux formes et dimensions extraordinaires. On y voit un serrac s'effondrer dans l'eau. S'ensuit une grosse vague. Pas très proche de nous heureusement. Mieux vaut toujours bien rester au milieu du canal!

On surprend 2 phoques léopard à la sieste sur leur glaçon. Sale tête ces bêtes-là! Ils ont l'air tout droit sortis de la Préhistoire. Et quand on sait qu'ils mangent environ 3 pingouins par jour, ça achève de nous les rendre peu sympathiques!
Arrêt à Port Locroy à 16H30, près de la petite base anglaise plantée sur un petit caillou. Sur l'île Wiencke en face il y a une grande colonie de pingouins, un squelette de baleine (témoin de l'époque de la chasse à la baleine), ... et des dizaines de touristes tous habillés de rouge. Ils proviennent du gros paquebot ancré un peu plus loin. On en a vu quelques uns déjà, c'est fou ce que c'est peuplé l'Antarctique. On aimerait avoir tout cet espace vierge pour nous, mais le tourisme de masse sévit déjà ici aussi. Ils sont tous en train d'admirer les pingouins, et l'un d'eux en particulier, un égaré, un manchot royal perdu tout seul au milieu d'une colonie de papous. Nous débarquons nous aussi pour voir ce "roi" qui se laisse placidement mitrailler par tous les Canon, Kodak et autres Nikon.

Le lendemain, traversée du Bismarck Strait sous le soleil mais vent frais. Arrivée à Arthur Harbour après 25 miles de navigation dans des paysages moins spectaculaires que la veille. Nous sommes ici près d'une base scientifique américaine, la base Palmer. C'est une base importante, ouverte toute l'année. Il y a ici aussi un gros cruiser ship plein de monde. Ils sont à terre et nous attendrons qu'ils s'en aillent pour débarquer à notre tour. Le mouillage sera ici rouleur et des growlers (petits glaçons) viendront nous chatouiller toute la nuit. Nous passons une journée entière ici, à visiter la base et les alentours. Paul et moi allons sur le glacier accessible derrière la Base. Je me fais une petite frayeur en marchant sur le bord d'une crevasse. La glace craque sous mon pied et je vois un petit paquet plonger dans la crevasse plusieurs mètres en dessous. Ensuite, je n'aurais plus qu'une envie: redescendre vite au bateau!

Le samedi 19 janvier, nous allons jusque l'île Petermann, en traversant le canal Lemaire. C'est le passage le plus connu de ce coin de la péninsule, étroit passage entre de hautes falaises rocheuses enneigées. Il fait gris aujourd'hui. L'entrée du canal est encombrée de growlers et d'icebergs. On s'avance prudemment et on slalomme entre les glaces. Ca passe. Au fur et à mesure de notre avancée, le pack est moins dense. Ancrage vers 18H30 face à Circumcision Point. On sera forcé d'y rester toute la journée du lendemain, coincés par le mauvais temps: neige et aucune visibilité. On s'occupe comme on peut. Il y a un peu de tension à bord. Pas facile cette cohabitation permanente dans un si petit espace pas très confortable. D'autant que Robert parle de réduire le chauffage pour économiser le mazout... Déjà qu'il fait pas très chaud et qu'avec le mauvais temps l'humidité est plus importante. Notre souhait est d'essayer de descendre le plus bas possible, vers l'île Adélaïde. Mais nous aurons besoin pour cela de trouver du mazout car on en a consommé plus que prévu durant la traversée du Drake. Ou il nous faut absolument faire des économies de carburant. Nous ne savons cependant pas encore si l'état des glaces nous permettra d'envisager de passer le cercle antarctique, le parallèle de 66'33'39 degré de latitude sud, ce que souhaite particulièrement Robert. Pour ma part, je ne désire pas particulièrement aller très bas, cela nous obligerait à remonter trop vite vers le nord à mon goût. Je préfère naviguer calmement, en profitant des mouillages et en se donnant le temps de naviguer en fonction de la météo.

Le 21 janvier, encore un réveil matinal au bip de l'alarme d'ancrage. 03H, le vent monte et nous pousse près des cailloux. A 04H , après avoir dérapé deux fois déjà, on lève l'ancre et on se dirige vers les îles Argentina un peu plus au sud. L'arrivée se fait dans le stress, avec des options conflictuelles. Robert voulait rester un peu "au large" (c'est un grand mot, on est loin de la haute mer ici) à attendre que le temps se calme. Christian et Paul ont insisté pour venir au contraire se mettre à l'abri des îles, près de la base ukrainienne de Vernadsky. C'est finalement cela la bonne option semble-t-il. On ancre au calme dans un petit bassin, dans un dédale d'îlots caillouteux, avec trois lignes à terre. Le soir, nous sommes accueillis par le Commandant de la Base qui nous fait visiter très aimablement ses installations. C'est une base scientifique permanente, une quarantaine d'hommes passent ici une année complète avant d'être relayés. L'hiver doit être drôlement rude, coupé de tout! Les études de la base, qui est l'ancienne base anglaise Faraday, concernent essentiellement la couche d'ozone et le magnétisme. Ces Ukrainiens sont extraordinairement gentils avec nous, nous offrent douches chaudes, repas, accès à leur bar, billard, ils nous font la conversation toute la journée (le mauvais temps est à nouveau là!), nous réapprovisionnent en eau douce. Enfin on est comme chez nous dans leur base, ils sont tellement simples et chaleureux! On a prévu de leur rendre un petit service le lendemain en emmenant 6 de leurs scientifiques à Petermann Island, en remorquant leur dinghy. Ils sont à court d'essence car ils en ont fourni beaucoup aux bateaux qui ont secouru le paquebot "Enterprise" qui a coulé en novembre dans le nord de la péninsule. Et le bateau qui doit ravitailler la base tarde un peu...

Le lendemain, neige et visibilité réduite. La base Vernadsky nous informe par radio que les scientifiques ne bougeront pas aujourd'hui,vu les conditions défavorables. Quant à nous, nous nous décidons, vers 11H, à lever le camp. Les dernières infos météo annoncent encore du mauvais temsp pour plusieurs jours. Nous n'avons pas envie de nous encroûter ici. Nous sommes ici à la latitude sud 65'15 et longitude ouest 64'15. Nous n'irons pas plus bas. Les glaces ne nous permettront pas d'aller jusqu'à l'île Adelaïde et de toutes façons nous n'avons pas assez de mazout pour envisager de descendre aussi bas. Donc nous commençons la remontée de la péninsule. Retour à Port Locroy pour aujourd'hui, dans le froid et la fatigue. Il y a là nos amis suisses du voilier "Balena" rencontré à Ushuaia. Nous leur faisons cadeau de la moitié de Barnabé puisque nous ne le consommerons pas en entier. Il y a aussi le très beau "Pen Duick VI", qui fut un des bateaux d'Eric Tabarly, aujourd'hui reconverti dans le charter.


Le lendemain, 24 janvier, le temps est magnifique dans la baie de Locroy. On se met à couple de Balena pour une heure, on s'échange infos et impressions. Ensuite on reprend notre route vers le Neumayer. Le temps se gâte à nouveau, la pluie glacée fait son retour. La mer semble se figer par endroit, une pellicule de glace se forme en surface. En plus nous avons le vent de face. La navigation est très fatiguante. On ne tient pas longtemps dehors. On traverse encore une fois le de Gerlache, avec une visibilité de plus en plus réduite. Assez cependant pour voir deux baleines. Vers 21H30 on arrive à Enterprise Island où on s'amarre à une vieille épave rouillée. Cadre irréel. Des sternes nichent sur l'épave et Paul se fait attaquer en allant attacher les amarres.


La nuit est froide et humide. Au petit matin, un bateau vient s'amarrer à couple d'Errance, un voilier argentin de charter "Mago del sur".


Le lendemain sera encore une journée d'escale forcée à cause du mauvais temps. On trie les photos, on monte le petit film vidéo du voyage, on regarde un autre film vidéo, on visite nos voisins, on s'occupe comme on peut.


Les jours suivants, on continue notre remontée, en passant par Trinity Island, puis Livingston Island, avec chaque fois une journée en stand by à cause des conditions défavorables. On n'a pas pu s'arrêter à Deception Island comme prévu, toujours à cause de la météo et on a été contraints de passer une nuit entière en navigation. Les hommes ont assuré, moi j'ai très vite été HS. Le bateau a valdingué toute la nuit dans tous les sens! Le mouillage de Half Moon Bay, à Livingston, est très joli, face à la petite base argentine "Camara".
Le vent s'est enfin calmé. La journée, on part à la découverte des habitants de la base. Ils sont 4 scientifiques, deux habitués des lieux, Claudio et Eduardo, Natalia, jeune élève étudiante de Claudio, et Pedro, jeune géologue. Super accueil! Thé, gateaux, invitation à la douche et au souper de ce soir, et informations sur la météo des prochains jours. Nous nous promenons ensuite sur les crêtes de l'île, mais nous dérangeons tellement les skuas et leurs nids que nous faisons demi tour. Ils volent en piqué juste au dessus de nos têtes en poussant des cris perçants. Impressionnant! Eduardo nous a expliqué qu'il faut tendre un bras en l'air, ils ne peuvent ainsi pas nous planter leurs griffes dans le crâne... Nous allons plutôt voir les pingouins. Eux ne sont pas perturbés par notre présence.

La soirée est super sympa. Eduardo est bon cuisinier, il nous a préparé des poulets farcis aux olives et pistaches. Christian, lui, a préparé le dernier gigot de Barnabé. Et nous avons emmené quelques bouteilles de vin à nos amis. On s'échange des photos et beaucoup d'informations. Retour à bord vers minuit, accompagnés par le faisceau des torches de nos amis sur la plage.


Le 31 janvier on poursuit notre route jusqu'à King George Island, à Potter Cove, face à la grande base argentine de "Jubani", aux pieds du rocher "los tres hermanos". Nous rendons visite à la base le lendemain. Il y a du monde ici, notamment deux jeunes chercheurs hollandais qui font une étude sur le développement touristique de l'Antarctique et ses conséquences potentielles. Ils tiennent à nous interviewer très sérieusement sur le sujet. Nous nous prêtons de bonne grâce à leurs questions et enregistrements. Nous nous promenons ensuite un epu à terre, mais nous ne pouvons pas aller très loin, nous sommes en site protégé, ballades interdites hors petit chemin balisé.

C'est d'ici que nous comptons nous élancer à nouveau dans le passage du Drake. Nous attendons un créneau météo favorable, c'est à dire du vent de SW si possible et pas trop fort (pas plus de 30 Nds).


Samedi 2 février. Les dernières infos météo n'étaient pas très bonnes jusqu'ici et nous pensions devoir passer quelques jours d'attente. Dans l'après-midi, les infos semblent nous donner une bonne fenêtre pour les 3 jours qui viennent. On se décide très vite et vers 19H nous sommes partis. On a préparé 2 pains en vitesse pour la traversée. Je m'occupe de les cuire. Ensuite, la houle a raison de moi, je me couche, vaseuse.

Je resterai 6 jours entiers couchée, sans manger et quasi sans boire non plus. Paul est aussi victime des mauvaises conditions de navigation, mais ponctuellement. Lui vomit, dort un peu pour calmer ses spasmes, puis se remet. Moi je ne vomis pas mais je suis incapable du moindre mouvement. Faut dire que je suis partie avec une angine. Et la traversée va durer! 6 jours au lieu des 4 prévus. Les deux premiers jours se font au moteur car on n'a pas beaucoup de vent. On est au près serré, contre les vagues. Il fait très froid, surtout la nuit! Le second jour, les vagues sont de plus en plus fortes. On se prend de sérieuses claques sur bâbord. Les vagues submergent tout le pont, en poussant des rugissements. Le capot de la cabine avant n'est plus étanche et Christian dort tant bien que mal au milieu de draps et de loques humides, puis mouillées, puis trempées. Il assure la plupart des quarts de nuit. Robert et Paul se partagent la journée. Moi je me suis réfugiée dans la banette du carré, dans mon sac de couchage et je ne bouge plus, ne participe plus à rien. C'est à peine si je sais ce qui se passe à bord. De temps en temps, quelqu'un essaie de me faire boire une gorgée d'eau. Il faut ensuite une heure pour que mon estomac arrête de gigoter au rythme de la houle et de faire barboter le peu de liquide ingurgité. Pas drôle! Et pas moyen d'aller un peu prendre le frais dehors, de barrer un peu, il fait trop froid et on se fait rincer jusqu'au fond de son slip! Jamais je n'ai autant souffert de mal de mer.

Le troisième jour, le vent s'établit à 25 Nds, sur une mer formée. On avance sous trinquette seule. Le bateau fatigue, nous aussi. On finit par se mettre en fuite. Le quatrième jour, le vent monte à 30/ 35 Nds, plus sous les rafales, la mer est très grosse. Contre la mer, le pilote peine à garder un cap correct. Les raffales sont de plus en plus violentes, jusqu'à 50 Nds. On se met à la cape pendant 17 heures. C'est beaucoup plus confortable et, heureusement, on ne s'écarte pas trop de notre cap vers le Horn. Le cinquième jour, mer et vent se calment, enfin! On repart sous trinquette seule, avec une nette amélioration, malgré une mer encore assez brouillonne. Du coup, chez moi aussi il y a une nette amélioration. Nous doublons le Cap Horn, à 10 miles à l'est, de nuit, par temps très calme.

Le 8 février nous arrivons à Puerto Williams, sous la pluie et la grisaille.

Nous sommes tous bien fatigués. Robert nous annonce qu'il n'ira pas plus loin. Il veut laisser son bateau ici pour quelques temps, rentrer en Europe, ... Ca ne nous arrange guère, Paul, Christian et moi, Puerto Williams est sur une île et il n'y a pas beaucoup de moyens pour rejoindre Ushuaia en Argentine. Nous attendrons 3 jours pour trouver un lift sur un autre bateau, celui de Michael, l'ami australien qui va nous dépanner.

Le 11 février, nous sommes de retour à Ushuaia, nous débarquons, nous sommes à nouveau des terriens.


Le voyage fut grandiose mais difficile. L'Antarctique est un milieu hostile où l'homme n'a pas sa place. Pourvu qu'on puisse préserver cet espace.


Le Traité sur l'Antarctique signé par 13 états en 1959, reconnaît qu'il est de l'intérêt de l'humanité toute entière que l'Antarctique soit à jamais réservé aux seules activités pacifiques et ne devienne ni le théâtre ni l'enjeu de différends internationaux.

1 commentaire:

marie et denis a dit…

Bonjour vous deux
Wow ,que vous etes aventureux et courageux. Nous sommes aller a Ushuya et Puerto Williams ,mais en touriste sur un Catamaran. Que de belles photos vous nous partagez.
Je vous ecrit bientot ,maintenant que nous sommes au Quebec,j,ai commence ;a lire votre blogue.
Marie et Denis sur Honah Lee 2,rencontr. a Medregal Village