Au bout d'une semaine, comme la vie à bord est quand même un peu compliquée du fait des travaux, je laisse Christian et Luchio entre hommes, avec leurs outils et tout leur matos, et je pars en vadrouille avec mon sac à dos, en bus, un peu plus au nord. Samedi 29 mars. Je m'arrête d'abord à Vina del Mar, à environ 150 km au nord de Santiago, la capitale. Vina est une petite ville balnéaire très aimée des habitants aisés de Santiago. Mais moi je ne lui trouve guère d'intérêt et je ne m'y attarde pas. Certes les plages sont belles, les avenues et les maisons plus coquettes et plus propres que dans les autres villes, mais cela manque d'âme et donc de charme. Et à part les calèches tirées par des chevaux, quelques jolies boutiques et le casino, et peut-être le parc de la Vergara, il n'y a rien de particulier à y voir.
Je me dirige vers Valparaiso, la ville toute voisine de Vina, située dans une grande baie pittoresque. Là le charme de cette vieille ville toute en collines opère de suite. Elle est en pleine régression économique, délaissée par les touristes pour la riche voisine Vina del Mar, et par les Administrations et les politiques pour Santiago. Le déclin de la ville a débuté en fait dès 1914 avec l'ouverture du canal de Panama, qui a rendu le passage du cap Horn obsolète et la fréquentation des ports du Pacifique sud moins attractive. Valparaiso vit cependant toujours au rythme de son port, qui a colonisé tout le bord de mer. Ce n'est que déchargement de transcontainers, ponts roulants, dockers et empilage sans fin d'énormes containers. C'est l'effervescence permanente. Les 45 cerros (collines) de la ville représentent un véritable labyrinthe, ce sont des ruelles enchevêtrées (ça fait du bien, ça change des habituels "cuadras"; la plupart des villes chiliennes sont construites en avenues perpendiculaires), des places tranquilles, des façades colorées, des murs peints de fresques, des ascenseurs centenaires qui partent vaillamment à l'assaut des collines, des petits bistrots et restos à la déco un peu décatie. Il y a des chats paresseux qui se prélassent un peu partout. Tout me plaît dans cette ville, l'ambiance est populaire, bohème et chaleureuse et il y a mille petits coins et quartiers à découvrir. Il faut avoir un peu de temps, de bonnes jambes, et aimer aller le nez au vent, au fil des escaliers, passages et ruelles pentues, et des vieux funiculaires bringuebalants. Je loge chez Gilles, "A la Bicyclette", chambre d'hôtes renseignée par "Le Routard", sur le Cerro Alegre. C'est une vieille et haute maison jaune. Les voyageurs sont jeunes, sac à dos, comme moi ... Language international le matin autour de la grande table du petit déjeuner, sous l'avocatier de la terrasse. J'ai l'impression de me retrouver adolescente, à la découverte du monde... Voyager seule n'est pas compliqué au Chili, le pays est plutôt sûr et les Chiliens sont très aimables. Le plus difficile pour moi est de rentrer seule dans un restaurant, mais je m'y fais vite. Au bout de trois jours à arpenter les ruelles de Valparaiso, à visiter les places, les églises, "La Sebastiana", maison de Pablo Neruda (poète et diplomate chilien, Prix Nobel de littérature), je reprends un bus encore plus vers le nord, pour La Serena.
La Serena est à 7 heures de bus au nord de Valparaiso. C'est une petite ville balnéaire tranquille (faut dire qu'on est hors saison) à l'architecture coloniale espagnole assez plaisante. Elle est très fréquentée en été par les touristes argentins qui se font dorer la pilule sur l'Avenida del Mar, longue de plusieurs km... Je n'y reste qu'un jour, la petite ville ressemble à Vina del Mar.
Je quitte maintenant la côte Pacifique, pour entrer à l'intérieur des terres, en longeant la vallée de l'Elqui. Parsemée de nombreux petits villages, cette belle vallée ensoleillée suit le cours du rio Elqui. Son climat privilégié et ses terres fertiles permettent la culture de la vigne qui produit le meilleur pisco du pays (la boisson nationale, avec laquelle on fait notamment un apéro sucré assez traître...). Mais l'endroit est aussi terre de rêves et de fantasmes, relayés par diverses communautés spirituelles qui s'y sont installées. Selon elles, la vallée serait magique, située aux confins des énergies terrestres, et même point d'aterrissage d'ovnis. Les histoires de campeurs réveillés en pleine nuit par des petits hommes verts pullulent, paraît-il. Moi, ce n'est pas ce côté mystico-halluciné pour fumeurs de pêtards moquette qui m'attire... Mais j'aime la vallée, d'emblée, surtout à partir de Vicuna. J'y reste une semaine entière. Deux jours à Vicuna d'abord, où j'ai l'occasion de visiter l'observatoire astronomique de Mamalluca. Visite de nuit bien sûr, puisque le but est d'admirer les étoiles. Notre guide, Luis, est super, intéressant, passionné, savant, intarrissable. Il nous montre la Croix du sud, Orion, les "3 Marias", les constellations du zodiaque et plein de merveilles et mystères du ciel. On observe des étoiles, les anneaux de Saturne, ... Magnifique. Dans le nord du Chili, l'atmosphère sèche et transparente, l'absence de toute pollution lumineuse et le record mondial de nuits totalement dégagées (plus de 300 par an !), ont favorisé l'installation des plus grands observatoires astronomiques du monde. A ne pas confondre avec, plus au nord encore, dans la région d'Antofagasta, l'observatoire Cerro Paranal, et son Très Grand Téléscope (Very Large Telescope), où vient de se terminer une partie du tournage du prochain James Bond...
A Vicuna, je fais une rencontre extraordinaire. Lucia, la dame qui m'héberge dans sa vieille maison familiale en pleine rénovation, me parle de son ami Belge, rencontré à l'île de Pâques il y a plus de 25 ans. Au fil de nos discussions, je me rends compte que le vieil ami dont elle me parle est notre ami Rik! Incroyabe comme le monde est petit parfois! On en a toutes les deux la chair de poule, et pour peu, je croirais volontiers au destin, aux ondes qui ont conduit mon chemin jusqu'à Lucia, et à tous les petits hommes verts qu'on voudra...
Après Vicuna, je continue mon voyage vers la pré-cordillère des Andes, jusque Pisco Elqui, adorable petit village perché à 1280 m sur un coteau pelé. C'est un véritable havre de paix, sous un ciel toujours bleu. Je trouve là une petite cabana au milieu d'un jardin rempli d'arbres et de fleurs, avec kitchenette, ce qui me permet d'être tout à fait autonome. Il y a deux piscines (ici il fait chaud), des chats, et les montagnes ocres et sèches m'entourent.
Je me sens drôlement bien ici. Je loue un VTT et j'explore les vallées jusqu'au bout du bout, sur les chemins de sable et de graviers. Un jour un chien agressif me court après. Je me souviens des bons conseils de mon chouchou ; en pareil cas, il ne faut surtout pas arrêter de pédaler, pour que le vilain clébard ne parvienne pas à attraper mon mollet... Il fait des gnaps- gnaps en me montrant ses mâchoires féroces. Il est de bonne taille, sans être un véritable molosse. Je sue de grosses gouttes et j'ai le coeur qui palpite. C'est que ça monte et le chemin est en sable, pas facile de pédaler là dedans... Le vilain se fatigue et me laisse. Je me demande comment je vais faire pour repasser par là, car il n'y a pas d'autre chemin... Je mets des cailloux dans mes poches et je m'entraîne à pédaler tout en freinant (au retour ça descendra...) et en lançant des cailloux. Ca n'a l'air de rien, mais c'est pas facile, et avec le stress en plus de devoir vivre sans un bout de mon mollet... Je prie pour qu'une camionnette ou une voiture passe, mais y a pas grand monde dans ce coin. Donc je rassemble mon courage et un peu plus tard, je repasse devant la masure en question. Et cet abruti de clebs me regarde cette fois d'un oeil torve sans mouffeter! Tout cet entraînement a été inutile. Mais, Eureka, j'ai gardé mes mollets intacts. Ils peuvent encore servir!!
Je visite Monte Grande, un petit village de la vallée, où est enterrée Gabriela Mistral, autre Prix Nobel de littérature, en 1945. C'était une enseignante rurale, à la vie rude et solitaire, devenue poète et écrivain célèbre.
Eglises de Monte Grande et de Pisco Elqui
Eglises de Monte Grande et de Pisco Elqui
Je connais la moitié des gens du village de Pisco Elqui quand je reprends le bus une semaine plus tard. La vie dans les campagnes est vraiment des plus simples et des plus agréables. Les liens se nouent vite. J'ai pris mes habitudes dans un petit resto local, j'allais réveiller Barbara (de l'agence de trekking) tôt le matin pour lui louer un VTT, je nourrissais les deux minous du complexe hôtel-cabanas où je logeais et du coup, bien sûr, ils étaient en permanence chez moi, vautrés sur mon lit ou sur la table, dehors, quand je lisais (et préférablement, vous connaissez les chats, sur mon livre), je tapais la causette aux petits épiciers du village, et la dame du petit cyber me comptait parmi ses meilleurs clients (évidemment je garde toujours un contact étroit avec mon doudou et ses travaux)... J'ai profité de la piscine, qui était à moi toute seule, ou parfois je l'ai partagée avec une adorable petite fille de 2 ans, que sa grand-mère essayait d'apprivoiser à l'eau, et qui m'appelait "tia" (tante). J'ai profité aussi des ciels étoilés et des lumières extraordinaires sur les montagnes, et du soleil qui ici est encore généreux à cette époque. J'ai lu "L'Etranger" de Camus, en espagnol. Bref, j'ai passé un séjour extra. Magnifique vallée de l'Elqui. J'adore. Mais hors saison uniquement. L'été, ce doit être galère, surpeuplé.
Vues de la vallée
Des murs aux couleur de la terre
Lumières
Ciels
Paysages divers
Et puis j'ai poursuivi mon périple, pour redescendre d'abord vers Vina, et pour m'arrêter ensuite à Santiago, la capitale, qui abrite un tiers de la population totale du pays. La ville est située aux pieds des Andes, dans une immense cuvette, à environ 100 km du Pacifique. Elle est très étendue, assez polluée, mais je l'ai trouvée intéressante. Je l'ai arpentée de long en large, je connais la plupart de ses petits quartiers et de ses principaux monument. J'ai vu la Moneda, c'est à dire le palais de la Présidence (il ne porte plus les traces des bombardements et fusillades de septembre 1973 quand les militaires et Pinochet (alors pas encore Général) ont pris d'assaut le bâtiment pour renverser le président Salvador Allende, qui s'y est donné la mort). J'ai assisté à la relève de la garde présidentielle, en grande pompe, avec fanfarres et tout le tralala. J'ai visité plusieurs musées, dont le très beau musée d'art pré-colombien, des expositions, des universités, la maison de Pablo Neruda, "la Chascona" (la deuxième après celle de Valparaiso), je suis montée en haut du mont San Cristobal en funiculaire je me suis promenée dans le grand parc qui surplombe la ville. J'ai beaucoup emprunté le métro. J'ai adoré le Cerro Santa Lucia et le quartier Lastarria, le quartier Bella Vista, grouillant de petits bars et restos, le barrio (quartier) Paris-Londres, le barrio Lastarria, la Plaza de Brasil, le tout petit barrio Concha y Toro et sa très belle place, la Cathédrale sur la Plaza de Armas, l'Eglise San Francisco,...
Plaza Brasil et quartier Brasil
Plaza du barrio Concha y Toro
Et j'ai eu aussi le grand honneur de visiter très exceptionnellement l'ancien siège du Congrès, en pleine rénovation. J'étais arrêtée en contemplation devant ce beau bâtiment de style néoclassique lorsqu'un monsieur m'aborde en anglais, me demandant si ce monument m'intéresse. Je lui dis oui, il me dit être l'architecte et me propose la visite. Je le jauge en 2 secondes, et OK. On met un casque de chantier et il me guide dans les dédales de couloirs en plein travaux de peintures et finitions. Il m'explique que les députés siègent actuellement à Valparaiso, mais qu'ils doivent revenir en juin dans ce bâtiment rénové. Quand je lui dis être Belge, il me raconte avoir été étudier un an à Louvain-la-Neuve... Il me montre l'hémicycle des débats des Députés, le bureau du président, les salles de réception, la bibliothèque, les escaliers de marbre, les grands vitraux de certains plafonds, les toilettes (luxueuses) tout cela au pas de charge, car quand même, il faut qu'il travaille un peu, des réunions l'attendent... Je lui demande si cela lui arrive souvent de faire ces visites improvisées, non, c'est la première fois... Il me fait la bise et on se salue. Je ressors essoufflée, en me demandant si je n'ai pas rêvé ce qui vient de se passer, j'en ris toute seule sur le trottoir. Mais j'ai quelques photos, qu'il s'est amusé à prendre de moi dans les différents bureaux. Quel rigolo cet architecte, et je n'ai même pas retenu son nom!
J'ai retrouvé à Santiago, avant de repartir pour Valdivia, Mariana et Jean-Pierre, des amis rencontrés à Valdivia. Ils m'ont présenté des amis à eux, artistes, m'ont invitée dans un bon restaurant basque, et Jean-Pierre m'a accompagnée pour visiter le cimetière général, où se dressent d'imposants mausolées au milieu d'une exubérante végétation, et où on trouve aussi un grand mur avec les noms des milliers de dissidents et disparus de la dictature Pinochet.
Je suis restée 4 jours à Santiago, puis j'ai repris un bus de nuit vers Valdivia, où j'ai retrouvé Christian et Petrushka, le 19 avril. Petrushka a retrouvé l'eau et les travaux ont bien avancés. Il y a beaucoup de petites et grandes améliorations en tout genre. Christian m'a laissé quelques vernis à terminer, histoire de me faire partager le travail collectif.
J'arrive à point pour la petite fête organisée par les "socios" du club, pour inaugurer la nouvelle guérite du garde de nuit. Ils nous invitent, Christian et moi, à un petit asado, puis j'ai l'honneur de couper, avec le Président du club, le "ruban" inaugural, en fait un bout d'écorce mis sommairement en travers de la porte. Ils m'ont rebaptisée "la Chica Bond", depuis mon voyage seule dans les lieux où se tournait le prochain Bond... Sympa l'ambiance de ce petit club!! Il fait bon rentrer chez soi!